Depuis quelques semaines, notre coopérative travaille en collaboration avec la Quadrature du Net, le collectif Le Nuage était en fait sous nos pieds, Green IT, DataForGood et la coalition HIATUS à l’élaboration d’un plaidoyer commun. Celui-ci porte sur le projet de loi de simplification de la vie économique, et plus particulièrement sur l’article 15, qui propose de faciliter l’implantation de centres de données hyperscale en France.
Et la crise climatique dans tout ça ?
La France est en passe de devenir le nouvel Eldorado des data centers, alors que nombre de nos voisins européens ont voté des mesures pour freiner leur expansion. Aux Pays-Bas, par exemple, ils ont fait l’inquiétante découverte que les data centers consommaient des quantités astronomiques d’eau en pleine sécheresse, tandis qu’en Irlande, elles déstabilisaient le réseau électrique.
À ce stade, le projet de loi actuel fait totalement abstraction de la crise environnementale que nous traversons et renforce la dépendance numérique de la France à des acteurs privés étrangers. Il est urgent que la société civile se saisisse de la question de l’allocation de nos ressources stratégiques :
- Faut-il augmenter nos capacités de production d’électricité pour décarboner le transport et la mobilité, ou bien construire des mini-réacteurs nucléaires pour alimenter l’essor des IA génératives ?
- En période de sécheresse, devons-nous garantir un accès prioritaire à une eau potable de qualité pour la population, ou bien refroidir les data centers afin que des algorithmes puissent nous recommander des brumisateurs connectés ?
L’article 15 vise à faciliter l’installation des data centers hyperscale en leur permettant d’invoquer la raison impérative d’intérêt public majeur (RIIPM). Cette qualification leur permettrait de contourner certaines obligations environnementales, comme l’obligation de protection de certaines espèces protégées. Salamandre tachetée, ou outarde canepetière, faites place, car la start-up nation n’attend pas !
Mais ce n’est pas tout : en obtenant le label de « Projet d’intérêt national majeur » (PINM), ces infrastructures pourraient également bénéficier d’un passe-droit urbanistique. L’État pourrait alors se substituer aux communes pour délivrer les permis de construire ou modifier les plans d’urbanisme locaux. À terme, ce statut pourrait même servir de prétexte pour exempter les data centers des réglementations sur l’artificialisation des sols ou pourquoi pas, sur la limitation des prélèvements d’eau en périodes de sécheresse !
Or, la France s’est engagée à réduire son empreinte carbone. Pourtant, l’installation massive de centres de données va à l’encontre de cet objectif commun. Leur construction en elle-même est extrêmement polluante (artificialisation des terres, béton, équipements électroniques) et leur consommation énergétique menace la décarbonation de notre mix électrique, risquant ainsi d’accroître notre dépendance aux énergies fossiles. Rappelons-le : une transition énergétique sans objectif de sobriété n’a pas de sens.
Et les conséquences socio-économiques ?
L’article 15 de cette loi incarne la volonté de marche forcée vers le développement de l’IA* en France, sans prendre en compte ses impacts sociaux et économiques importants et largement sous-estimés. L’adoption massive de l’intelligence artificielle en entreprises présente un risque bien réel pour l’emploi. Selon France Stratégie et la DARES, l’IA* pourrait à elle seule entraîner la suppression de près de 5 millions d’emplois d’ici 2050, alors que les centres de données ne créeraient que quelques milliers de postes en retour. Pourtant, aucune réflexion n’est menée sur l’accompagnement des travailleuses et travailleurs face à ces mutations du marché de l’emploi.
Pire encore, ces infrastructures risquent d’être administrées par des géants américains, ce qui met en lumière l’hypocrisie du discours sur ladite souveraineté numérique. Un amendement (1207) a certes été proposé en commission spéciale pour exclure les opérateurs qui ne respecteraient pas le RGPD ou seraient soumis à des lois extraterritoriales sur la préemption de données (coucou les GAFAM, voir le Cloud Act des États-Unis, qui permet aux autorités américaines d’accéder aux données stockées par leurs entreprises). Mais cette mesure, adoptée contre l’avis du gouvernement et du rapporteur, pourrait bien être rejetée en séance publique et ne suffirait de toute façon pas à elle seule. Si un opérateur national venait à construire un data center hyperscale en bénéficiant du label PINM, celui-ci pourrait toujours revendre l’infrastructure à un GAFAM dans un second temps.
Pour toutes ces raisons, nous défendons un moratoire sur les centres de données de plus de 2000 m², afin de prendre le temps d’une réflexion collective et saine. Cette proposition a pour le moment été rejetée lors de la commission spéciale, mais il nous reste encore la séance publique pour tenter de créer le débat autour de ce sujet. Ce moratoire nous permettrait d’engager une discussion démocratique, par exemple à travers une convention citoyenne.
Nos propositions :
- Une suspension immédiate des délivrances de permis de construire pour tout projet de data center supérieur à 2000 m² tant qu’une évaluation approfondie n’a pas été réalisée, conformément au principe de précaution.
- Une véritable prise en compte de l’impact environnemental et social dans la planification de ces infrastructures.
- La mise en place d’une gouvernance démocratique et citoyenne, garantissant que ces projets puissent répondre aux enjeux écologiques et sociétaux de notre époque.
- Et l’organisation d’un débat national sur l’allocation de ressources stratégiques (foncière, énergétique et eau douce par exemple).
Pour soutenir cette mobilisation et appeler vos députés, consultez la page Mobilisation pour un moratoire sur les gros data centers ! – La Quadrature du Net
*IA au sens start-up nation du terme